« Journées du patrimoine, les 18 & 19 Septembre 2021 »

Bonjour et surtout merci d’être venus !
Vous avez entre les mains ces quelques lignes qui tenteront d’être exhaustives et de retracer l’histoire des lieux. Ici, pas de cours magistral d’Histoire ou d’Architecture (même si on adore ça !) mais une balade
au fil de nos découvertes, de ce qui nous a touché au cœur en tant qu’heureux propriétaires des lieux !

1) L’entrée

Ce chemin date de l’époque romantique (1850).
Notez que cette route sinueuse bordée de chênes est d’un style anglais, bien loin des codes architecturaux dits « Louis XIV» alors toujours en vogue à cette époque.
Nous supposons que la famille de la Motte Angot de Flers, à l’époque propriétaire des lieux et mandatée comme gestionnaire du canal du Suez, menait grand train et vivait inspirée par les voyages et les grands mouvements de mode, qu’ils soient architecturaux (nous le verrons par la suite), ou botaniques...

2) Les blockhaus

Sous les deux marronniers au bout de l’allée mon père a fini de détruire une guérite en béton flanquée d’une barrière de contrôle : c’est que le château d’Hémevez a été réquisitionné par l’armée pour servir
de « Kommandantur ».
(un commandement militaire, chargé de l’administration du territoire occupé).
Il faut savoir qu’à son apogée, le château comptait 35 chambres !


Je suis donc bien obligée de commencer à vous parler de l’Occupation allemande, qui a débutée, ici, en 1942. Les blockhaus de l’allée, au nombre de 3, permettaient de contrôler l’unique entrée du château.
Il est encore possible dans visiter un.
Nous avons condamné les autres grâce à des remblais de terre et les avons plantés d’hortensias.
Tous étaient dessinés selon un même plan : deux pièces spartiates, l’une avec un réchaud pour cuisiner
et l’autre faisant office de pièce de repos et de poste de tir.

De nombreux régiments d’Infanterie s’y sont installés : « une section de transmission de cyclistes chasseurs
de chars, le 11e état-major du génie de forteresse, chargé avec ses unités des constructions des édifices bétonnés, et une unité de géologues militaires, chargée des études de terrain préalables aux projets de constructions sur la côte.»
Les deux grandes dalles en béton, ainsi qu’un bunker servant alors à stocker les munitions, témoignent encore de la présence de plateformes administratives.

3) L’aile Nord-Ouest du château

L’origine de ce que nous appelons maintenant « le Château » est cette aile centrale datant du XVIIème siècle. Impossible de le deviner à notre arrivée dans les lieux !
Il a fallu pour cela retirer un crépi XIXème, (qui pour le plaisir des yeux, fut peint en « camouflage »
par les Allemands), pour découvrir un appareillage de pierres et des arcs de charges de fenêtres dont l’architecture typique date de la-dite époque.

La tour, semble t-il, voit son origine naitre à cette même époque : en témoigne la dernière marche en pierre qu’il nous reste d’un très probable escalier à vis, changé lui aussi au XIXème siècle pour un escalier en bois
(du meilleur goût, à l’époque).

Les volumes de la façade nord (à gauche) laissent supposer une architecture XVIIIème, mais seulement jusqu’au 3ème étage.

Notez que les encadrements des fenêtres sur le bâtiment de gauche (Nord) et du centre (Nord-Ouest) sont en pierres, alors qu’ils sont en béton sur le bâtiment de droite (Sud), qui lui date du XIXème siècle.

Ce siècle, en sus de l’ajout de cette aile, aura assisté au rehaussement d’un étage de l’aile nord facilement visible à la démarcation des pierres, à la modification de la tour, à la création du porche pour lier les deux bâtiments,
à la construction d’une chapelle et à l’avancée pentagonale de l’aile nord-ouest.

Hémevez se voit donc clairement baptisé par les couleurs du Romantisme !

Notez ici les sous-bassements de la chapelle dans un style néo-gothique - dit Troubadour - qui permettait aux propriétaires, d’aller directement par les étages, à la messe !

4) Le hall Haussmannien

L’aménagement du somptueux escalier date de 1850, comme tous les grands travaux « XIXème » de la maison. (Nous tenons ces informations du chartrier du château).
Les murs sont en stuc, très bien conservés et la rampe en fer forgé baigne encore dans un esprtit XVIIIème. Du plafond qui était en verre pendait un magnifique lustre (vu par mon père lors de sa première visite du château) et disparu durant la vente : volé, comme beaucoup de choses ici après la signature...

Il faut savoir qu’à la libération, le château est resté ouvert aux quatre vents : les propriétaires n’ayant jamais récupéré leur bien : Une porte s’est ouverte au pillage.
Les cheminées de marbre, les trumeaux, les boiseries et la mémoire même du domaine : le chartrier ;
ont été dérobés.
En témoignent encore les inventaires de la maison qui nous ont été récemment restitués.
Nous y avons aussi appris que ce bâtiment, d’un style classique XIXème, aux allures d’immeuble haussmannien : rez-de-chaussée et cuisines, grands salons au premier étage, chambres et appartements au second,
pour finir par les chambres de bonnes, en enfilade sous les toits, ont accueilli durant la Belle Époque,
entre autre : le roi de Patagonie !
Ici, le faste des lieux nous rappelle l’effervescence d’un temsp révolu : cœur d’activité, le château faisait travailler tout le village.
Anecdote qui sert d’illustration : des archives mentionnent le remboursement aux villageois, par les propriétaires, des poules écrasées par le passage des nombreux défilés de voitures appartenant aux invités du château !

5) L’aile Nord du château

Ce que nous a révélé ce bâtiment nous a clairement permis de comprendre qu’il existait ici, avant le XVIème siècle, un grand domaine bâti sur la même superficie, fait d’une enceinte fermée, rectangulaire, qui servira de base
au Château, construit en son centre (sur un plan architectural typiquement Normand).

Ce ne sont pas des extensions, mais des superpositions d’architectures qui ont eu lieu ici au cours des siècles !

Observez les petites fenêtres que nous avons découvertes en grattant le crépi :
elles semblent bien anciennes : antérieures au XVIème.
Notez aussi ces raccords de pierres, à l’angle sur le mur et qui montent jusqu’au toit : ils laissent supposer
une échauguette (tour d’observation et de défense), ce qui semble très logique lorsqu’on sait que l’entrée principale devait se faire par le porche (nous le verrons : daté de 1592), en témoigne les plus vieux chênes de la propriété qui bordaient une route menant vers le hameau de Vaulaville (les bâtiments les plus anciens du village datent
de cette époque).

Nous avons aussi découvert un puits à double entrée (de l’extérieur et de l’intérieur de la maison)
avec une magnifique pierre monolithique qui bloquait aux plus curieux le passage vers l’intérieur.
Elle aussi ne date pas d’hier...
Plus surprenant encore, nous avons noté la présence d’une porte au fond du puits !
Mon père est decendu : l’entrée est murée mais la perceuse répond assez vite à l’appel du vide derrière la paroi.

Je ne sais toujours pas ce qui nous retient d’y descendre, la peur de l’éffondrement, d’une cavité peut-être ou du rêve de trouver un jour ici le trésor des templiers !!!

6) Le portail Renaissance

Je cite ici Julien Deshayes dans son étude faite sur le château d’Hémevez

« Daté de 1592 par un cartouche avec une inscription en chiffres arabes.
Observez le bâti : les pilastres lisses à chapitaux ioniques encadrant deux arcs surlignés de glyphes rudentés, avec, sur chacun, une petite clé saillante en forme de console gainée d’acanthe. Le petit portail - dit piéton - était, lui, coiffé d’un écu arborant les armes de la famille de Flers, probablement retiré lors de la Révolution. »

7) Les communs, front Est

Face aux marais, ce bâtiment forme une sorte de front défensif, pratiquement aveugle.
A partir de ce que nous appelons le «PM» (Petit Manoir), et jusqu’à la tour d’angle, les pierres
sont antérieures au XVème siècle.
Voyez : l’extension est nettement visible grâce à la démarcation que créent les différentes pierres utilisées, même et c’est assez amusant : de l’intérieur, on peut noter que le mur qui sépare le salon et la salle à manger du gîte actuel est construit en biais. A l’origine, les murs extérieurs étaient ainsi bâtis jusqu’au XVIème siècle, et ce, pour renforcer la stabilité des édifices.
A l’intérieur : A première vue des étables construites tout du long, mais en se rapprochant de la tour : on observe la présence de fenêtres, ce qui indique qu’on y habitait (comme nous l’indiquent aussi les sols en carreaux de pierres qui sont toujours visibles dans les étages).
L’appareillage des pierres est lui aussi nettement différent du reste du bloc. Un historien nous a révelé une datation possible remontant au XIIème ou XIIIème siècle.

C’est donc ici que se trouve les premiers bâtis du domaine!

8) La tour

Elle témoigne donc de l’existence d’un bâtiment construit au XIIème ou XIIIème siècle, habitée, à vocation agricole. Notez les petites arquebusières qui y sont percées pour sa défense.
Le toît, à l’origine, devait être bâtit en pointe, probablement en lozes comme beaucoup dans la région. L’armée allemande, du fait de sa position stratégique sur les marais, en a rasé la tête pour y installer une Flac (défense anti aérienne).
Nous rêvons fermement à une reconstruction de la toiture sur son dessin d’origine.

9) Les Communs, front Sud

Ici la charretterie percée de quatre grandes arcades annonce la fin du XVIème ou le début du XVIIème. Mais, remarquez les fondations... Encore une fois, ce bâtiment a dû être construit sur de plus anciens. Nous n’expliquons pas autrement ce débordement de rangées de pierres au sol, qui courent jusqu’au bout du bâtiment.

Des écuries, dont une jolie tête de cheval sculptée orne encore l’entrée, ont été rajoutées au XVIIIème siècle. Ici aussi, les curiosités architecturales nous laissent rêver à propos des dessins originaux du bâtiment.

10) L’aile sud du château

Un pur chef-d’œuvre du XIXème siècle !
Là où cela devient intéressant : Etait stocké dans ce bâtiement toute la réserve de charbon servant à alimenter une «locomotive» : le chauffage central !
Nous avons noté à notre arrivée, la présence de radiateurs en fonte dans chaque pièce du château. L’eau et l’électricité y étaient aussi acheminées.
La famille de Flers, lors de leurs grands travaux datant de 1850, a aussi utilisé les premiers IPN, présents
et visibles dans les plafonds de ce bâtiment, ainsi que les premiers ciment sur les façades
comme je vous l’ai mentionné au début de la visite.
Mode, confort, nouvelles «technologies» de l’époque, ont donc traversé le château d’Hémevez
dans ses pérégrinations architecturales.

11) Enfin...

Pour clore «L’épopée Hémevez», je terminerai par deux anecdotes qui nous ont été relatées
par des gens du village :
La première serait qu’entre ces deux platanes : les Allemands, à la libération, ont enterré toutes les armes
et munitions qu’ils n’auraient pas pu prendre avec eux dans leur fuite, le tout enroulé dans des toiles de parachutes. Ici, nous garderons bien le mystère car nous avons pris la ferme décision de ne jamais creuser,
pas même pour y planter un rosier !

La seconde relate de la présence aux quatre coins de la maison de bidons d’essence...
Une allumette qui n’aurait pas été grattée par un soldat allemand aura donc permis à l’histoire du château de ne pas finir en un tas de cendres, pour nous laisser rêver encore un peu au retour
d’une effervescence nouvelle.

Doucement, les portes s’ouvrent, depuis l’installation d’un gîte au Petit Manoir et de chambres d’hôtes au rez-de-chaussée du bâtiment XVIIème.

Des projets, encore et toujours...


Un boutique-hôtel car du passé de designer - antiquaire de mon père :
nous avons conservé un merveilleux stock de mobilier que nous restaurons et que nous vendons au sein des chambres.


Un salon des vignerons du fait de l’activité de ma sœur Julie Brosselin, merveilleuse vigneronne
et déjà organisatrice d’un des plus grands salons de vins nature en France... Nous souhaitons être fédérateur dans la région, autour de cet artisanat encore trop peu présent.


Une résidence d’artistes, car au-delà d’être une publicitaire, une éternelle mélomane et gribouilleuse,
je souhaite sincèrement pouvoir partager toute l’inspiration et tout le repos de l’âme que ces lieux m’apportent...

Merci

Nina Brosselin...

Et son Père